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Fabrice Riceputi, historien : Il y a une très forte résistance en France à admettre ce qu’a été le colonialisme

Propos recueillis par Madjid Serrah
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Fabrice Riceputi, historien : Il y a une très forte résistance en France à admettre ce qu’a été le colonialisme
D. R
Un homme torturé par l'armée coloniale en Algérie.

L’historien Fabrice Riceputi a révélé, dans une enquête publiée le dimanche 16 mars sur Mediapart, un document d’archives secret appelant à la généralisation de la torture en Algérie. Daté du 11 mars 1957, ce document est signé par le général Raoul Salan, qui avait pris le commandement total de l’armée française en Algérie à la fin de l’année 1956, après son retour d’Indochine, où il avait essuyé une défaite.

Bien que la torture fût interdite, tout comme l’utilisation des armes chimiques, elle a été pratiquée sur ordre du commandement militaire en Algérie, avec l’aval des autorités politiques, après avoir été expérimentée à Alger en 1957.

Chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) et membre du comité de rédaction des sites histoirecoloniale.net et 1000autres.org, l’historien, spécialiste des questions coloniales et postcoloniales en France, revient, dans cet entretien avec Echorouk/Echorouk Online, sur la torture et les disparitions forcées pratiquées par la France coloniale en Algérie.

Echoroukonline.com : Dans votre enquête publiée sur Mediapart, vous avez révélé des correspondances officielles émanant du commandement militaire français en Algérie appelant à la généralisation de la torture. Que révèlent principalement ces documents ?

Fabrice Riceputi : Les archives de l’armée française montrent en effet qu’en mars 1957 les généraux Salan, Massu et Allard ordonnent à l’armée de généraliser une pratique qui a été expérimentée à grande échelle depuis janvier 1957 à Alger. Bien sur, ils ne la nomment pas. Le mot torture désigne un crime en droit français et est donc tabou dans le langage officiel. Ils parlent d’interrogatoires “par force”, “serrés”, “poussés à fond”, “énergique”, “dur”, etc., mais tout le monde comprend bien de quoi il s’agit. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’ils ont reçu du gouvernement de l’époque un droit implicite à torturer. De celui de Guy Mollet d’abord, puis des suivants. En vertu de la loi dite des pouvoirs spéciaux largement adoptée en mars 1956, le gouvernement a autorisé l’armée à déclarer “suspect” qui bon lui semble et à le détenir et à l’interroger sans témoin ni contrôle civil. Il savait pertinemment que cela encourageait la torture et aussi les exécutions sommaires.

Photo: Fabrice Riceputi

Outre la torture, les disparitions forcées comptent parmi les crimes commis par la France coloniale en Algérie. Comment les sources historiques documentent-elles cette pratique, et que révèlent-elles sur son ampleur ?

En janvier 1957, le général Salan préconise “d’enlever” des Algériens “pris au hasard” pour les interroger, car tout Algérien est susceptible d’avoir des informations sur le FLN. C’est clairement un ordre de procéder à ce qu’on appellera plus tard la disparition forcée. Et qui explique que l’expérience de la terreur des Algériens ressemble à s’y méprendre à celle des Argentins, des Chiliens ou encore des Syriens. Là encore, c’est Alger qui sert de terrain d’expérimentation. Des rafles géantes et répétés dans les quartiers algériens conduisent à la détention clandestine et à l’interrogatoire de milliers d’Algérois. Presque tous sont torturés, certains exécutés, la majorité est enfermée sans jugement des des camps, leurs familles étant maintenues dans l’ignorance de leur sort.

En 2018, vous avez lancé, avec l’historienne Malika Rahal, le site”1000autres.org” et un appel à témoin sur les disparitions forcées durant la bataille d’Alger en 1957. Comment le projet a-t-il évolué depuis son lancement ? De nouveaux témoignages ou documents ont-ils permis de mieux éclairer ces crimes ?

Notre appel à témoignage a reçu des centaines de réponses et continue à en recevoir, comme on peut le voir sur le site. Nous sommes en contact avec beaucoup de familles de disparus. Nous rassemblons ainsi quantité de matériaux historiques qui vont nous permettre de faire un livre sur la grande répression d’Alger, et peut-être aussi un film, en racontant autre chose que ce que les acteurs militaires français ont dit et qui est trop souvent purement et simplement répété en France.

Les travaux de l’historien Christophe Lafaye ont récemment mis en lumière l’usage à grande échelle de gaz toxiques par l’armée coloniale française en Algérie entre 1956 et 1962. Comment la société française a-t-elle réagi à ces révélations ?

Il est trop tôt pour évaluer les réactions en France, mais pour l’heure les médias dominants et la classe politique sont incroyablement muets. Pourtant, ce film révèle au grand public l’existence d’un autre crime de guerre français en Algérie, le fait qu’a été menée une véritable guerre chimique de 1956 à 1962. Et que l’armée refuse de communiquer certaines archives sur ce sujet. Il y a 25 ans, les révélations sur le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 et sur la torture avaient provoqué une véritable tempête politico-médiatique. Là, rien. Cela permet de mesurer la régression en France sur ces questions coloniales. Elle est un effet de l’extrême droitisation des médias et de la classe politique.

Quelle est votre lecture de la déprogrammation par France Télévisions du documentaire inédit Algérie, sections armes spéciales ?

Il faut rappeler que France TV a coproduit le film. Mais sa direction a jugé qu’elle avait plus important à diffuser et n’a toujours pas donnée de nouvelle date de diffusion. C’est évidemment symptomatique d’une minoration de la question des crimes coloniaux en France. On a pu constater avec la polémique sur les propos de Jean-Michel Aphatie parlant à juste titre d’Oradours algériens qu’il y a une très forte résistance en France à admettre ce qu’a été le colonialisme.

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