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Reconnaissance de l’assassinat de Larbi Ben M'Hidi

Fabrice Riceputi, historien : Depuis 2018, Macron tend à occulter la responsabilité de l’État dans les crimes qu’il reconnaît

Propos recueillis par Madjid Serrah
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Fabrice Riceputi, historien : Depuis 2018, Macron tend à occulter la responsabilité de l’État dans les crimes qu’il reconnaît
D. R
Fabrice Riceputi

Dans son communiqué sur l’assassinat de Larbi Ben M’Hidi, Emmanuel Macron attribue le crime à Paul Aussaresses, sans évoquer la responsabilité des autorités militaires et du gouvernement français de l’époque.

L’historien Fabrice Riceputi, spécialiste des questions coloniales et postcoloniales, estime dans ses réponses aux questions d’Echorouk Online que le sort d’un personnage clé dans la révolution algérienne tel que Ben M’Hidi n’a pas été décidé par Aussaresses.

Il explique : “Le communiqué publié le 1er novembre 2024 par l’Elysée ne désigne comme coupable et responsable de ce crime d’exécution extra-judiciaire que le seul Paul Aussaresses, dont on sait qu’il dirigeait lors de la grande répression de 1957 à Alger un escadron de la mort clandestin, en lien étroit avec le général Massu et le ministre de l’Algérie, Robert Lacoste. Autrement dit, on pourrait croire qu’il s’agit là d’une « bavure » commise par des militaires subalternes. La responsabilité de l’institution militaire, encore moins celle du gouvernement de Guy Mollet, n’est pas engagée.”

Lire aussi: “La France devra faire tôt ou tard son tournant anticolonialiste”

Et il ajoute : “C’est une habitude de Macron, dans son goutte-à-goutte mémoriel commencé en 2018, d’« oublier » la responsabilité de l’État dans les crimes qu’il « reconnaît ». Ainsi, quand il a « condamné » en 2021 le massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, il n’a pointé que la responsabilité de Maurice Papon, comme si un préfet n’obéissait pas aux consignes du gouvernement. S’agissant de Ben M’Hidi, il va de soi que le sort d’un personnage de son envergure n’a pas été décidé par le lieutenant Aussaresses, auquel le communiqué attribue d’ailleurs faussement le grade de général en 1957. La décision de l’exécuter au lieu de le déférer à un tribunal militaire est nécessairement venue – par un ordre oral, cela va sans dire – de Massu et de Lacoste. C’est Aussaresses qui a ensuite maquillé le meurtre en suicide, comme cela a été fait très souvent par l’armée en 1957, notamment pour Ali Boumendjel.”

Le communiqué de l’Élysée cite aussi Marcel Bigeard, comme quelqu’un qui aurait voulu se recueillir sur la tombe de Ben M’Hidi. Pour Riceputi, animateur du projet 1000autres.org sur les disparitions forcées durant la “bataille d’Alger” en 1957, avec l’historienne Malika Rahal, ainsi que le site histoirecoloniale.net, “Citer dans ce contexte le « témoignage » de Marcel Bigeard en dit long en effet. Car Bigeard est lui-même l’un des principaux symboles d’exactions comme celles dont Ben M’Hidi fut la victime ! Le régiment de Bigeard, le 3e régiment de parachutistes, fut celui qui, selon une archive de l’armée française que j’ai trouvée, déclara un nombre record de « suicides », de « tentatives d’évasion » de détenus en 1957. Des mentions dont nous savons qu’elles cachent des morts sous la torture ou par exécution sommaire. Il a donné son nom aux « suspects » jetés lestés d’un hélicoptère dans la mer et qu’on retrouvait parfois sur les plages : les « crevettes Bigeard ». L’hommage rendu par Bigeard à Ben M’Hidi, qu’il a lui-même livré à Aussaresses en sachant très bien ce qui allait lui arriver, est l’une de ces légendes « paras » répétées partout, mais qu’aucune source crédible n’a confirmée.”

Concernant les raisons du refus actuel de la France de reconnaître et condamner ses crimes coloniaux, le collaborateur scientifique de L’Institut d’histoire du temps présent explique : “Après 1962, il y a eu longtemps une omerta sur les crimes coloniaux. Dans les années 1990 et 2000, s’est exprimée en France une exigence de vérité. Puis, surtout à partir du mandat de Sarkozy, il y a eu un retour de bâton. On a accusé ceux qui voulaient la reconnaissance de la vérité de « repentance », c’est-à-dire de s’en prendre à l’honneur du pays, de s’humilier. En 2017, en campagne électorale et en quête de soutiens à Alger, Macron avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Il a ensuite très vite rétropédalé et inventé ce goutte-à-goutte mémoriel dont j’imagine qu’il paraît vraiment étrange aux Algériens : en fonction de la situation politique intérieure et de l’état des relations avec l’Algérie, il distribue périodiquement les « reconnaissances » à différentes clientèles politiques, en prenant presque toujours des libertés avec l’histoire, comme dans le cas de Ben M’Hidi. Ici, il s’agit clairement de compenser l’effet désastreux de son alignement avec le Maroc sur la question du Sahara occidental.”

Enfin, en réponse à la question d’Echorouk Online sur l’influence de l’extrême droite dans ce refus de la France de reconnaître ses crimes coloniaux, l’auteur de “Le Pen et la torture : Alger 1957, l’histoire contre l’oubli” répond : “Bien sûr. Le refus de regarder en face le passé colonial dans son ensemble et même la tendance à réhabiliter le colonialisme sont des aspects de l’extrême droitisation et de la montée considérable du racisme en France. Avec le gouvernement Barnier qui ne tient qu’avec le soutien du parti lepéniste à l’Assemblée, il est très probable que nous ayons à subir une offensive sur ce terrain.”

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