Marseille… Une mobilisation sans faille pour la Palestine

« Mon intérêt pour la cause palestinienne ne date pas d’hier. Je pense que j’ai réellement commencé à m’y intéresser lorsque j’ai appris l’histoire de l’enfant de Gaza, Faris Odeh, qui lançait des pierres sur les chars de l’armée d’occupation. Il existe une photo célèbre de lui, debout, seul face à un char. Quelques jours plus tard, il a été assassiné d’une balle à l’arrière de la tête par un sniper », raconte à Echorouk, Linda Benyahia, 38 ans, Franco-Algérienne résidant à Marseille, avec cet accent typique des habitants de cette ville méditerranéenne.
Notre interlocutrice poursuit : « L’histoire de Faris Odeh m’a profondément touchée. Depuis ce jour, j’ai commencé à m’intéresser à cette question. Je devais avoir 15 ou 16 ans. J’ai même créé un blog pour en parler, ainsi que d’autres sujets. Depuis, cette cause me touche profondément, même si je n’étais pas réellement militante. Mon intérêt s’est intensifié durant l’agression contre Gaza en 2019. Puis il est devenu total après le 7 octobre. Depuis cette date, je suis en contact avec de nombreux Palestiniens pour les aider du mieux que je peux. Je ne parle pas couramment l’arabe, j’utilise un traducteur pour communiquer avec eux. Et comme les médias occidentaux sont totalement biaisés en faveur du récit sioniste, j’ai commencé à suivre les médias arabes, en particulier Al Jazeera. Par la force des choses, j’ai commencé à apprendre à parler arabe, même si mon niveau reste faible. Malheureusement, les premiers mots en arabe que j’ai appris étaient : bombardement, destruction, armée, occupation… »
Comme Linda, des milliers de Marseillais se mobilisent pour la Palestine. Depuis le début de l’agression contre Gaza le 7 octobre 2023, et contrairement aux positions officielles et aux reportages parfois timorés, voire complices de l’occupation, la mobilisation populaire se poursuit dans cette ville française multiculturelle pour réclamer l’arrêt du génocide, un cessez-le-feu permanent, le soutien à la résistance du peuple palestinien, la libération de la Palestine, la levée du blocus sur Gaza, et la fin du jumelage entre Marseille et Haïfa.

Un manifestant pendant la marche pour la Palestine organisée le dimanche 9 juin 2025 à Marseille. Photo : UPM
L’élue écologiste Chahidati Soilihi fait partie de ces voix. Elle a récemment adressé une lettre ouverte au maire de Marseille, Benoît Payan, ainsi qu’aux élus de la ville, pour demander l’annulation du jumelage avec Haïfa. « Je pense que ce qui m’a poussée à écrire à Benoît Payan, c’est le désespoir », confie l’élue écologiste à Echorouk. Elle explique : « Je pensais qu’en marchant avec mon écharpe, cela inciterait les élu·es de la mairie centrale à réfléchir, à envisager les choses autrement. Mais vingt mois, c’est long… beaucoup trop long. Les images (de crimes commis à Gaza, ndlr) deviennent de plus en plus insoutenables, même si elles l’étaient déjà dès le départ. Ce désespoir m’a poussée, un soir, à me dire : je vais écrire à Payan, je vais lui demander un déjumelage. »
Depuis le 7 octobre 2023, les manifestations hebdomadaires qui partent chaque dimanche de la place “Porte d’Aix” à Marseille rassemblent un nombre croissant de participants issus de tous les horizons de la ville. « Il y a un véritable engagement marseillais. Ce que j’aime particulièrement, c’est que cet engagement dépasse les origines, les âges, les genres », nous dit Chahidati Soilihi.
Par ailleurs, des rencontres mensuelles sont organisées par diverses organisons selon l’évolution de la situation, avec la participation de spécialistes de la question palestinienne : historiens, écrivains, penseurs, chercheurs en sciences politiques, activistes, médecins et journalistes ayant travaillé à Gaza. L’objectif, selon ces organisations, est de mettre en lumière le génocide en cours et de contrer le silence complice de nombreux médias, en particulier occidentaux.
La ville a notamment accueilli des journalistes de Gaza, dont Faten Alwan, amie de la journaliste martyre Shireen Abu Akleh, assassinée de sang-froid par l’occupation israélienne. Dans son témoignage, elle a mis en avant la résilience des journalistes palestiniens et leur détermination à faire entendre la souffrance de leur peuple.
Pour Soilihi, « mettre fin au jumelage avec Haïfa serait un symbole fort », mais elle ajoute qu’au-delà du symbole, « ce serait une manière de marquer clairement notre désolidarisation vis-à-vis de l’État israélien. Ce qui se passe en ce moment est insupportable. Netanyahou reste libre alors qu’il a été visé par des mandats de la Cour pénale internationale. En tant que ville, nous avons une responsabilité morale. »
Chahidati Soilihi n’est pas la seule élue à exiger la fin du jumelage entre Marseille et Haïfa. De plus en plus d’élus, notamment chez les écologistes et dans le mouvement La France Insoumise, défendent cette demande. Des députés et figures politiques françaises ont également exprimé leur soutien.
« L’Union pour la Palestine Marseille » est un collectif formé après les massacres perpétrés par le régime de Netanyahou à Gaza, dans le but, selon son porte-parole Mohamed Ghazali Khous, « de condamner le génocide et de canaliser les nombreux militants émus par les nombreuses images des massacres. » La première manifestation à Marseille pour dénoncer l’agression a eu lieu le 8 octobre 2023, et la première mobilisation encadrée par le collectif date du 15 octobre 2023.
Le collectif ne s’est pas contenté de protester : il a formulé des revendications politiques concrètes, comme la fin du jumelage entre Marseille et Haïfa. Mohamed Ghazali Khous, ancien professeur à l’université de Bab Ezzouar en Algérie, désormais installé en France, explique : « Évoquons la nature de tout système colonial, qui est d’assurer la domination par la privation des populations de leur citoyenneté, de leurs droits civiques fondamentaux. Le système colonial israélien est un régime d’apartheid et a comme seul souci de réduire le citoyen palestinien à un citoyen de seconde zone, comme ce fut le cas en Algérie par le fameux code de l’indigénat. En plus, la ville de Haïfa abrite le complexe militaro-industriel qui alimente le génocide en cours à Gaza et aujourd’hui en Cisjordanie. Elle occupe une place centrale dans l’approvisionnement de l’armée génocidaire israélienne en armes, munitions et équipements militaires via le complexe militaro-industriel représenté par les sociétés Elbit Systems, Rafael Advanced Defense Systems et le Technion. »
Résidant à Marseille depuis 18 ans, Mohamed Ghazali Khous ajoute : « Il n’était pas question de permettre à Marseille, ville cosmopolite de tolérance et d’acceptation de l’autre, d’avoir un partenariat avec une ville où le régime d’apartheid règne et qui réalise notamment depuis octobre 2023 le premier génocide largement documenté du XXIe siècle. Depuis 66 ans, Marseille cautionne ce régime colonial à travers ce jumelage honteux qui ternit son universalité, en contradiction totale avec les engagements internationaux de la France, dont celui de la prévention de génocide de 1948. »
La classe ouvrière a également joué un rôle actif dans cette mobilisation. Le 5 juin dernier, le syndicat CGT Fos, regroupant les dockers et travailleurs portuaires de la rade de Fos, a annoncé avoir bloqué l’exportation de trois conteneurs contenant du matériel militaire à destination du port de Haïfa. Dans son communiqué, le syndicat écrit : « Les travailleurs·euses du port de Fos ne veulent pas être complices de massacres, de pertes de vies humaines. Si certains continuent à vouloir faire passer ce type de marchandises par notre port, alors nous répondrons autrement dans les jours et semaines à venir en mobilisant l’ensemble des dockers et portuaires du golfe de Fos. »
Chahidati Soilihi nous confie : « Je suis bien consciente que la ville de Marseille ne peut pas directement s’immiscer dans les affaires internationales. Néanmoins, je suis convaincue que la volonté politique permet de faire bouger les lignes. »
En 2024, un réseau de villes françaises et européennes anciennement jumelées avec des villes de l’État sioniste s’est formé à Marseille. Certaines ont pris l’initiative de rompre ou de suspendre leurs jumelages, comme Barcelone, Ixelles (Belgique), Strasbourg et La Rochelle.

Rencontre d’élus à Marseille le 16 juin 2025 pour exiger la fin du jumelage entre Marseille et Haïfa. L’écologiste Shahidati Soilihi, troisième à droite, et le député de la France Insoumise, Sébastien Delogu, premier à gauche, aux côtés du médecin Baptiste André, membre d’équipage du navire « Madeleine », parti de Marseille pour briser le blocus de Gaza avant d’être intercepté par les forces d’occupation israéliennes dans les eaux internationales. Photo : Groupe écologiste et pluriel-s – Marseille
« Le peuple marseillais est hostile au rejet de l’autre, à l’apartheid et aux traitements que subissent quotidiennement les Palestiniens de Haïfa (musulmans, chrétiens et druzes), ghettoïsés dans des quartiers abandonnés et pauvres comme Wadi Nisnas. La Nakba de 1948 a poussé 95 % des Palestiniens à quitter leurs terres et maisons de Haïfa. En plus, la situation dramatique que subit actuellement le peuple de Gaza et de la Cisjordanie, la résilience du peuple palestinien et les pressions des mouvements de contestation dans le monde ont fait bouger un peu les lignes et poussent de plus en plus de femmes et d’hommes politiques à rejoindre le combat que nous menons depuis 2023 pour la libération de la Palestine », explique Mohamed Ghazali Khous.
Sur la question du jumelage, Chahidati Soilihi affirme être convaincue qu’il prendra fin, et précise : « Et il y a une bonne nouvelle : Benoît Payan a évoqué l’idée d’un jumelage entre Marseille et une ville palestinienne. Ce serait une belle avancée. »
Linda, cette mère de deux enfants, estime que le 7 octobre a changé sa vision du monde, de la religion et de l’humanité : « Tout ce que nous avons vu en direct sur nos téléphones – les massacres, les destructions, ceux qui ont brûlé sous les tentes, les enfants morts de faim ou déchiquetés… Le silence et la complicité des dirigeants, en particulier des dirigeants arabes et musulmans. Je pense que le monde a atteint un point de non-retour. Même si tout cela s’arrêtait, rien ne serait plus jamais comme avant. Du moins de mon point de vue. Cette réalité a révélé le pire de l’être humain : son égoïsme, son indifférence, et sa capacité à la sauvagerie. »
Linda Benyahia, Chahidati Soilihi, Mohamed Ghazali Khous, Sébastien Delogu et André Baptiste, et avec eux des centaines de milliers d’anonymes à Marseille, ou dans d’autres villes françaises, font partie de ceux qui, face au génocide qui se passe aujourd’hui à Gaza, ont choisi de ne pas rester silencieux et d’être du bon côté de l’histoire.